Échecs et réussites

Réussites

La réussite principale de nos conversations est d’avoir fécondé de façon directe ou indirecte les débats de rue et les débats de Comité de quartier, comme nous avons pu le constater sur divers sujets précis. C’est même très directement des Conversations Socratiques que sont sorties certaines réponses extrêmement élaborées et en même temps donnant une attitude concrète à des problèmes urgents (par exemple le squatt des anciens locaux de la Sécurité sociale : nuit de la Saint Sylvestre passés en famille habitants/squatters).

Par ailleurs, mais cela n’est pas mesurable ni spectaculaire, il nous semble que la conscience des gens du quartier a changé : rapport à l’écrit (certains auteurs sont devenus des références courantes: Platon/Socrate, Tocqueville, Meschonnic…), rapport aux édiles (moins de timidité ou, ce qui revient au même, d’attitudes nihilistes ou poujadistes, et désir de savoir, de participer), rapport des gens entre eux (les conversations ont généré beaucoup d’interconnaissance, et de relations qui durent).

Notre persévérance (10 ans) nous semble être une réussite en soi, même si on ne peut pas dire aujourd’hui à quoi elle servira.

Échecs

Dès le début, nous avons renoncé à la maïeutique. Les gens n’y sont pas habitués et il nous a semblé difficile de l’imposer même si nous ne renonçons pas à l’introduire peu à peu. Socrate  et son attitude civico-politique sont toujours restés, par contre, un exemple. Une référence pour tous.

Les Conversations Socratiques n’ont pas  »révolutionné » Arnaud-Bernard : le nombre des participants est faible (20 à 40 personnes selon les sujets, deux ou trois fois plus en certaines occasions – jusqu’à 120 pour une conversation sur le féminisme) et notre parti-pris de ne pas faire venir des « stars » du débat, même de temps en temps (pour que la star reste toujours le débat Iui-même), est peut-être trop raide.

Un échec est celui que nous avons connu avec le mouvement des Cafés philosophiques. Contactés par un de ses futurs promoteurs en 91, nous n’avons pas su, ni face à lui, ni face à la presse, défendre la spécificité et l’intérêt de notre formule. Les Cafés philosophiques, lancés dès 92 à Paris, puis dans toutes les grandes villes, se sont développés et ont occupé le terrain avec des principes qui nous semblent opposés aux nôtres: réunion de gens en des lieux fermés (interdisant par cela même l’accès à certaines personnes), présence nombreuse de spécialistes (pas de rupture avec le type universitaire des problématiques), thèmes abordés dans la logique de la philosophie spéculative traditionnelle, participation des personnes venues de partout et qui ne se rencontrent pas régulièrement sur des terrains où l’harmonie entre principes et actes est vérifiable (dans un quartier où tout le monde vous connaît on ne tient pas impunément certains discours), aucun lien entre le questionnement et des réponses concrètes, quotidiennes, ou exceptionnelles (cf. conversations sur le FN à Toulon où l’attitude de Socrate face à sa condamnation à été très « parlante »).

Dans la bataille intellectuelle des années 90, le mouvement des Cafés philosophique a triomphé spectaculairement, occultant au passage notre formule. Il est notable :

– que la presse nationale, quand elle a parlé de nous, nous a confondu avec ce mouvement ;

– que notre formule n’a été, à notre connaissance, reprise nulle part ailleurs ;

– que dès la diffusion du modèle Café philosophique, certains à Toulouse ont choisi cette formule plutôt que la nôtre : plusieurs professeurs ou amateurs de philosophie, des étudiants en philosophie ou en sociologie, qui apparemment se sentaient en danger devant un public jugé trop « bigarré » et des contestations trop « loufoques » ou « terre à terre » ont déserté nos conversations pour les Cafés.

Il est évident pour nous que le mouvement des Cafés philosophiques (*), parti d’une généreuse intention, est en partie une parfois sympathique (pas toujours) illusion d’action pour la démocratie et pour l’éducation.

Claude Sicre (janvier 99)

(*) Tel que nous le connaissons : visites à plusieurs endroits (Toulouse, Paris), articles de presse, radio, télévision. Mais aussi tel qu’il se présente lui-même (interviews). Il faudrait voir bien sûr de plus près la pluralité des pratiques.